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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 13:39

 

  Comment tout a commencé, quelle a été ta première expérience sur le plateau?

 

J'avais quatorze ans, j'étais dans une école de théâtre et après avoir été là-bas j'ai été invité à rejoindre la compagnie locale, à Goiânia. On m'y a enseigné les principes de Stanislavski, Grotowski et Brecht. A quatorze ans, ma voix était oscillante, je muais, pour cela on ne me donnait pas beaucoup de texte. Je commençais à dire mon texte et ma voix allait dans tous les sens. Je suis devenu la "mascotte". C'est drôle... C'est devenu donc quelque chose plus physique et développant ce langage plus physique, j'ai commencé à faire de la danse.

 

De la danse… à la marionnette ?

 

Je suis venu en Hollande comme danseur professionnel en 1996 et j'y ai travaillé pendant dix ans. En Hollande, dans une des productions du chorégraphe Itzik Galili, une compagnie israélienne était invitée appelée "Gertrude Theater". Cette compagnie était composée de deux femmes qui faisaient de la marionnette et une d'elles était danseuse. Cette esthétique que j'arbore aujourd'hui est le fruit des principes de ces deux femmes. A partir de ce moment, lorsque j'ai vu ma première marionnette, je suis tombé éperdument amoureux. Elle s'appelait "Porcher", je continue de la manipuler dans ma compagnie. C'est une "hoster", elle est invitée lors de la première des festivals, elle est à l'aise et possède sa personnalité propre. Les gens ne m'invitent même pas, ils invitent la "Porcher" ! A partir de ce moment, j'ai commencé a développer mes propres créations avec pour ambition de mêler danse contemporaine et manipulation de marionnettes. Je mélange mon corps avec celui de la marionnette.

 

Comment tout cela apparait, quelle est la genèse d'un spectacle pluridisciplinaire tel que Bastard ?

 

Mon équipe officielle est petite, directeur artistique, producteur, un « head technician ». On est trois et on pense ensemble. Nous sommes une entité qui pense ensemble. Autour de nous, nous invitons beaucoup de gens, videomakers, compositeurs, dramaturges…

 

Bastard c’est d’abord l’histoire d’un artiste. Votre histoire ?

 

Le spectacle est basé sur L’arrache cœur de Boris Vian. Ce que j’aime chez Boris Vian, c’est qu’il n’explique rien. Ce livre raconte la trajectoire de cet homme qui, d’un moment à l’autre, apparaît, tout simplement. Il apparaît dans un endroit où il n’y a que des barbares. C’est un homme élégant, un thérapeute. Et il essaie de faire une thérapie sur les barbares. J’ai inversé cette situation, ces barbares, ces marginaux qui se trouvent en ce lieu ; un lieu dans mon adaptation qui serait un « garbage dump », ce sont eux qui vont faire une thérapie de ce type, qui est un artiste.

 

C’est donc une critique à propos de notre environnement culturel ?

 

Il est apparu dans les limbes, et ça c’est une critique de la situation culturelle en Hollande. Au moment du changement de gouvernement en Hollande, l’extrême droite a pris le pouvoir et ils ont détruit toute l’histoire culturelle de ce pays, une histoire multidisciplinaire, une recherche qui a débuté dès les années 70 sur l’art contemporain, un art qui mélange les genres, les technologies… Ces hommes politiques Hollandais ont réduit de 70% le budget destiné à la culture, et pas à cause de la crise économique, mais parce qu’ils ne trouvent pas l’art nécessaire. Avant il y avait 21 lieux de production artistiques en Hollande (danse, théâtre, musique…), toutes ont été décimées. Les compagnies qui profitaient de quatre ans de subventions de l’Etat, toutes les ont perdues. Des festivals internationaux il n’en reste que deux. Tout cela s’est mis en place l’année dernière. Cette année les gens commencent à perdre leur emploi, des violonistes de brio à la rue, comédiens, danseurs, chorégraphes sans emploi.

 

Tout cela se passe en Europe, pas seulement en Hollande, tu ne trouves pas ?

 

Il y a une crise identitaire en Europe. Quand je parle d’identité je parle d’éducation, de culture. Et c’est à ce niveau que les hommes politiques essaient d’avoir la main mise. Tu n’as pas d’information, comment veux-tu réfléchir ? Ils veulent que l’on ne réfléchisse plus. Je n’ai rien gagné pour ce spectacle, pas un centime de budget. C’est pour cela que je l’ai fait au milieu de déchets. Mais le revers de la fortune a fait de ce spectacle un succès en Hollande et dans tous les festivals auxquels nous avons participé dans le monde entier. J’ai été l’année dernière artiste révélation de Hollande.

 

Tes marionnettes sont mutilées, leur visage semble creusé.  En plus de l’humanité que tu leur donnes et l’amusement qu’elles provoquent, il semble y avoir de la violence dans leurs corps, leurs expressions.

 

On peut ressentir de la peine. Elles semblent maltraitées. Mais généralement toutes mes marionnettes ont peu de poids sur leur épaules, elles sont légères, elles portent peu de souffrance. De mon point de vue, quand tu travailles avec une marionnette, tu fais une caricature de l’être humain. Et la caricature amène la critique, avec humour. Quel que soit le sujet. C’est le pouvoir de la marionnette, d’apporter la bonne humeur. J’aime beaucoup le matériel avec lequel je fabrique mes marionnettes, la mousse. Elle peut rétrécir, s’élargir, et, de mon point de vue, c’est un élément essentiel afin de pouvoir danser avec mes marionnettes. C’est un matériel léger, généreux, adhérent. En citant tous ces adjectifs je cite la métamorphose d’expression de mes marionnettes comme étant des acteurs hyper sensibles, hyper réels. Voilà la différence entre travailler avec des comédiens et travailler avec des marionnettes. Les marionnettes maximisent l’expression.

 

Comment te places-tu par rapport au théâtre contemporain ?

 

Beaucoup de gens étudient l’acteur contemporain aujourd’hui. Et l’acteur contemporain traverse une métamorphose importante. Il n’y a déjà plus d’acteurs stanislavskiens, brechtiens, des conceptions trop théoriques et trop techniques. On est ici plus proche de l’acteur brechtien, qui commente. La marionnette apporte une désinvolture de la spontanéité. Pour le public comme pour le manipulateur qui observe, lui aussi, ce que la marionnette fait. C’est intéressant pour l’acteur car il saute dans la fiction, il interagit, observe seulement parfois et parfois il critique ce qu’il se passe. C’est une synthèse de l’acteur contemporain de nos jours.

 

Tu conçois donc la marionnette comme un dédoublement de toi, acteur ?

 

C’est la base. La marionnette n’est pas seulement l’alter ego de ma personne, c’est aussi un être, un être qui participe au travail sur la scène. Il a une personnalité si grande que parfois ce n’est pas seulement moi qui manipule. Il manipule également l’atmosphère. La marionnette, plus que le comédien, séduit. Il séduit le public. Jusqu’à le rendre enfantin, émerveillé. Le public s’ouvre à cela. Le public réagit et c’est bon pour la marionnette, elle a besoin de cela. C’est le public qui décide si la manipulation fonctionne, c’est un dialogue très intime. C’est la salle qui fait le spectacle. Tous, nous participons à la magie du spectacle. Il y a de l’énergie vive dans cet espace, et c’est cette énergie qui m’a rapproché de cette forme de spectacle.

 

Tu fais danser tes marionnettes, c’est une envie de sortir du carcan de la danse contemporaine ?

 

Tu sais, ce n’est pas non plus une grande nouveauté. Mais de nos jours c’est difficile de transformer un danseur en marionnettiste. Le rendre convaincant. Ce sont deux techniques diamétralement opposées. Il faut travailler et étudier durant de longues années pour être convaincant. Sinon cela reste très conceptuel. Et mon travail n’est pas conceptuel, je développe une technique grâce à laquelle je peux raconter une histoire.

 

Et la musique, la plasticité du décor, son surréalisme, ce n’est pas conceptuel ?

 

Tout ce qu’il y a autour est là pour m’aider à raconter l’histoire. Quand je parle de conceptuel, aujourd’hui je parle du contemporain, du « hype art ». Pour moi le travail conceptuel c’est un maquillage pour ceux qui ne possèdent pas brin de technique. C’est une critique personnelle, hein. « Neguinho » (« le type », expression brésilienne) n’a pas de technique, feignant, n’a pas la patience d’apprendre la technique, il invente d’autres choses au ras de la technique. Généralement le travail conceptuel est là pour tuer la vie, c’est une idée. Et mon travail c’est d’apporter la vie aux marionnettes. Tu dois croire qu’ils sont vivants, sinon il n’y a pas de spectacle. Et pour donner la vie sur scène, tu as besoin d’énormément de technique.

 

Pourquoi avoir choisis L’arrache cœur, qui est un roman, et non une des nombreuses pièces de théâtre de Boris Vian ? Goodnight Girls inc, La reine des Garces, des œuvres mélangeant  danse, musique…

 

Je n’en connais pas.

 

Le surréalisme du roman était peut être destiné à des acteurs surréalistes, des marionnettes.

 

Il n’y a qu’avec les marionnettes que l’on peut faire cela. Quand j’ai lu L’Arrache Cœur, je n’aurais jamais pu imaginer le jouer qu’avec des comédiens. Pour atteindre le surréalisme de Boris Vian, il fallait que ce soit une marionnette, qui véhicule la poésie du roman.

 

Qui est le « Bastard » ? L’étranger, le rebus de la société ?

 

A la base, le « bastard » est celui qui ne fait pas partie de la famille. Moi je me sens comme étranger vis-à-vis de la Hollande et aussi marginalisé par le système. Mes spectacles ont toujours à voir avec moi, ma situation émotionnelle, mon environnement politique dans lequel je vis. Mon travail est un portrait.

 

Ca ne traite pas de problèmes de société, surconsommation, individualisme sociétaire, à travers l’accumulation au niveau du décor ?

 

Le plastique et les déchets sont inhérents au spectacle. Cet homme tente de comprendre ce qui se passe et les marionnettes essaient littéralement de le réveiller, du fait qu’il soit dans la merde, si j’ose dire. Ce « shithole ».

 

Et ton rôle d’artiste désinvolte, émergeant d’un sac poubelle, une bouteille à la main ; une attitude de plus qui brise la frontière avec le public.

 

J’ai commencé à me questionner, en tant que danseur contemporain, sur le fait d’être un artiste. Pourquoi diable faire de l’art ? En tant que danseur c’est comme si on montait le quatrième mur. Et la danse moderne c’est cette division entre le plateau et le public, pouvoir faire de la danse pour une personne, comme pour mille. A aucun moment tu ne te projettes vers le public. Aucune projection mais bien de l’introjection. Ce système de la danse moderne m’a mis progressivement sur les nerfs. Je ne fais pas de l’art pour moi et uniquement pour moi, je fais de l’art pour les gens. C’est cette identité européenne introvertie, cet individualisme ambiant, qui m’agace. Cette égocentricité, « fuck it » ! C’est élitiste, ambitieux.

 

C’est peut-être pour cela que les critiques sont si bonnes à ton égard.

 

Les critiques ne comprennent rien, alors ils donnent leur avis, un avis que seules leurs petites personnes comprennent et les font se sentir supérieur, intelligents. Les gens qui vont au théâtre aujourd’hui sont ceux qui en ont les moyens.

 

Tu es très virulent dans tes propos, comment réagirais-tu si des personnes quittaient la salle pendant ton spectacle ?

 

J’ai ouï dire que cela se faisait en France. Moi j’arrête le spectacle et je demande au type pourquoi diable s’en va-t-il. Je trouve que c’est un manque d’éducation horrible. J’habitais au Japon pendant un moment et j’ai travaillé avec des maîtres butô. La moitié de la journée on nettoyait le sol. C’était tout un rituel, une technique, de laver le sol. Ainsi, tu as du respect pour l’endroit où tu mets les pieds. Un des autres enseignements butô était qu’au combien le spectacle auquel tu assistais était mauvais et te dégoûtais, tu devais rester jusqu’à la fin ! Applaudir et rester tranquille, car l’espace théâtral doit être respecté, c’est un espace ritualiste et si cela est rompu, il n’y a plus de raison qu’il y ait théâtre. Regarde tes trucs sur ton ordinateur, va au cinéma. Le respect envers la magie du théâtre est quelque chose qui se perd de nos jours. C’est vraiment dommage.

 

 

 Entretien réalisé et traduit du portugais par Ivan Camus.

 

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 06:56

 

Entretien avec Olivier Waibel, dramaturge et metteur en scène au sein du collectif Crypsum, représentant à la scène des textes non théâtraux.

 

Pour débuter l’entretien, pouvez vous présenter votre parcours, ainsi que la formation du collectif Crypsum ?


J’ai fait des études de lettres à Paris ainsi qu’une prépa littéraire hypokhâgne khâgne, pour devenir professeur. Parallèlement je faisais du théâtre au lycée pour m’amuser avec des amis. En suivant des cours en conservatoire, j’ai fini par passer des concours un peu malgré moi, et je me suis retrouvé à Toulouse au TnT où ils ont une formation de comédiens qui s’appelle l’Atelier Volant. Les deux directeurs du collectif, Alexandre Cardin et moi, venons de la même promotion, on ne s’est pas quittés. En fait on a fondé le collectif pour jouer les textes de Virginie Barreteau, qui était aussi dans la même promotion. On l’a fait une fois et ça s’est pas bien passé, alors on a récupéré le collectif, qui s’appelle Crypsum qui veut dire la glande du passage à l’acte. En tant que comédiens on voulait voir si on pouvait mener nos propres projets, on a ensuite créé des petites formes vers Toulouse.


Combien êtes-vous aujourd’hui dans le collectif ?


Au début, nous étions quatre anciens de l’Atelier Volant, il y a eu scission et on a récupéré Crypsum Alexandre et moi. Et aujourd’hui nous sommes trois avec Miren Lassus Olasagasti qui est comédienne. Pour les spectacles on fait appel à des comédiens d’ici, qui ne font pas forcément partie intégrante de Crypsum, mais qui reviennent souvent. Quand on a choisi le nom de collectif, et non de compagnie, ça n’était pas forcément pour parler de démocratie, mais plus d’élan collectif, de confiance partagée.


Y avait-il dès le départ l’idée d’adaptation de textes non théâtraux à la scène ?


Pour les premières formes, on avait plus l’idée d’inventer de nouvelles places au spectateur, on a alors joué dans des lieux un peu décalés comme des vestiaires de théâtre, mais ça partait de toute façon d’une matière littéraire. Nous sommes des comédiens,  pas des metteurs en scène, qu’est ce qu’on apporterait si on montait un énième Shakespeare ? Comme j’ai fait des études littéraires et que j’ai la passion des livres, j’amenais régulièrement de la matière et on s’est vite rendus compte que ce qui est génial avec un livre c’est la possibilité d’inventer son propre matériau et tout le spectacle en même temps. Puis on ne voulait pas qu’il y ait des personnages, par exemple pour Nos parents d’Hervé Guibert, il y a trois comédiens sur scène, alors que c’est l’histoire d’un seul homme qui raconte son histoire familiale, ils sont à la fois comédiens, narrateurs et régisseurs, autant le père, la mère que le narrateur. Tout se mélange, il n’y a pas d’incarnation à jouer. Notre idée est vraiment de profiter d’un cadre pour partager une écriture que l’on aime, l’adaptation nous permet aussi d’insérer de la vidéo dans les spectacles, réalisée par Alexandre. J’estime que le complément de l’adaptation littéraire c’est vraiment l’adaptation scénique avec la vidéo, ça se complète à merveille.

 

Qu’est ce que ça apporte au spectacle la combinaison de l’adaptation et de la vidéo ?


Hervé Guibert est un des premiers à avoir fait des journaux vidéos, et on s’est servi de ce lien pour Nos parents, le journal vidéo est un fil rouge dans le spectacle. Ca commence avec lui qui, pendant que le public s’installe, cherche dans son journal vidéo quelque chose, parce que tout part d’un secret de famille. La vidéo est présente tout du long, en direct principalement, beaucoup pour des notions d’espace et d’invention sur scène. Et puis ca permettait aussi tout un travail sur la photo qui est important, parce que Nos parents, ca parle d’une famille, et toutes les familles sont compliquées et folles, et on a pris ce fait comme universel. Donc les comédiens sont vraiment face à leurs photos de familles, face à leurs parents à devoir dire qu’ils les détestent, ce qui les engagent autrement sur scène. Alors que dans L’Homme qui tombe, notre seconde création, qui raconte le parcours d’un homme après le 11 septembre 2001 et ce que ça inclut, ce qui était compliqué c’était de faire l’économie des images du 11 septembre. On en a tous en tête mais les revoir c’est quand même très fort, donc on a beaucoup travaillé là dessus, sur comment les détourner, ne pas vraiment les montrer. Dans le roman, Don DeLillo  parle beaucoup des cendres qui tombent, donc on a travaillé sur ces images de cendres, qui donnent un reflet à la parole, une autre dimension au texte. Dans le texte il y a aussi l’omniprésence de la télévision, donc nous dans notre décor on avait mis deux télés qui diffusaient des publicités, parce que ça revient souvent, et ça crée du jeu. Par exemple, on a fait une scène où un personnage a l’impression de voir son mari à l’écran et dialogue avec lui, alors qu’il n’y est pas. Mais il n’y avait pas de vidéo en direct parce qu’il n’y avait pas le temps et que ça n’était pas légitime. C’est intéressant d’avoir à penser la vidéo, pour l’instant je trouve qu’on est assez malins avec, ça n’est pas illustratif, pour nous ça a du sens.


Vous faites la mise en scène des spectacles avec Alexandre Cardin, comment se déroule cette collaboration ?


On travaille en amont lui et moi. Je fais l’adaptation et la dramaturgie principalement, et il la complète. Ou bien nous écrivons la mise en scène très tôt.


Vous écrivez la mise en scène ?


Oui, comme dans l’adaptation je séquence, j’invente des scènes, chaque scène applique alors d’elle-même sa mise en scène. Le fait de séquencer le texte nous fait dire dans quel espace on l’imagine, est ce qu’il y a de la vidéo, comment les gens se croisent. Dans L’Homme qui tombe, tout le monde est présent sur le plateau quasiment tout le temps, même quand ils ne sont pas dans les scènes, ça se travaille beaucoup avant. Après ce qui est compliqué c’est qu’Alexandre  joue dans les spectacles, donc je me retrouve en face à devoir gérer la direction d’acteur, ce que j’arrive à faire mais qui n’est pas ce que je préfère. Et après on travaille à nouveau le soir ensemble. On fait comme ça pour l’instant, mais j’aimerai bien que les prochains spectacles, on change la manière de travailler, que je sois vraiment que sur l’adaptation, la dramaturgie, et la mise en scène en amont, et la direction d’acteur pour lui.


Ne pas être tout le temps le seul regard extérieur.


C’est ca. Ca serait plus simple, mais je trouve que c’est le meilleur comédien du monde, donc ça m’embêterait, mais en même temps c’est ca aussi le choix du collectif de pouvoir un peu changer les formes, les statuts et les rôles.


Pourquoi cette volonté de mettre en scène des textes non théâtraux ? Qu’est ce que ça apporte par rapport à une pièce de théâtre ?


Ca part de l’envie d’inventer notre propre matériau. Et puis je ne lis pas de théâtre, parce que je ne sais pas lire de théâtre, et je trouve que ça se ressemble pas mal en général, il y a peu d’invention formelle d’écriture théâtrale, un petit peu plus quand même aujourd’hui. Le roman a l’avantage d’être plus figé, et comme nous on a vraiment envie de s’approprier et que la construction nous ressemble c’est beaucoup plus cohérent. Et j’adore l’idée de partager un texte que j’aime, c’est tellement agréable de partager pendant une semaine Don DeLillo avec des gens qui ne l’ont jamais lu et qui ne le liront jamais, et de voir ce qu’ils en retirent.


Comment se fait le choix du texte ?


Je soumets des textes. Pour Hervé Guibert, c’est un texte que j’ai lu il y a très longtemps et qui m’avait fait rire, je me suis dit qu’on pourrait faire une lecture à plusieurs pour voir, on a tous tellement rit qu’on a décidé de le monter. Et on a travaillé L’Homme qui tombe parce qu’on voulait travailler sur un autre texte qui s’appelle Peste de Chuck Palahniuk, et on n’a pas eu les droits parce qu’il n’y a qu’Hollywood qui les a. Puisque le premier s’appelait Nos parents,  on s’est dit le deuxième va s’appeler Notre Amérique, et on n’a pas eu le droit. Il a fallu trouver un autre texte en quinze jours. L’Homme qui tombe je l’avais lu, j’avais adoré, j’ai remis le nez dedans en me disant qu’il était possible d’en faire quelque chose. Pour ce texte, on a beaucoup travaillé pour que ça reste proche de nous et très vivant. On voit toutes les coutures se faire sur scène, l’installation du décor en même temps qu’ils sont personnages.

Vous souhaitez travailler sur des thèmes en particulier ?

Non. On se connaît tellement dans le groupe qu’on sait à peu près quels sont les thèmes qui nous intéressent, même si ça n’est pas vraiment définissable. Mais je pense que le prochain spectacle sera adapté d’un Américain, ou d’une femme ca serait bien. Adapter une auteur j’aimerai bien, voilà on réfléchit plus de cette façon. On souhaiterait travailler sur un auteur que j’adore, Joyce Carol Oates, qui a été très connue pour le livre sur Marylin Monroe qui s’appelle Blonde, et qui est incroyable. Donc peut être ça.


Ce livre là ?


Non ça ne serait pas ce livre là. On aimerait bien aussi faire de l’adaptation, pas que de romans, par exemple de films ou de série, c’est un autre matériau. C’est l’enjeu, toujours trouver de nouveaux matériaux et de nouvelles raisons d’inventer, parce que si c’est juste pour pérenniser l’affaire ça n’a pas d’importance. On pourrait très bien arrêter et n’être que comédiens, il faut que ça relance quelque chose, que ça ne soit pas juste une entreprise qui roule et  qui enchaine les spectacles.


Pour revenir sur l’adaptation littéraire, est ce qu’il y a dans le choix des textes quelque chose qui appelle déjà à une représentation théâtrale ?


Pour l’instant je l’ai peu rencontré. C’est une matière tellement libre ça appelle surtout à de la liberté et à essayer d’en faire quelque chose. Ce qui me pose problème un peu au début, parce que j’aime tellement la langue des livres qu’on choisit que j’ai envie de la rendre telle quelle, et dans le travail du plateau, surtout avec les comédiens, tu es obligé de tricher, ou de réécrire beaucoup.


Hervé Guibert je connais peu, mais pour Don DeLillo,  avec une langue si particulière, ça doit être difficile, vous n’avez pas peur de dénaturer ?


Si, ça dure un petit temps, puis à un moment tu finis par comprendre, et tu n’’hésites plus. Je me permets de réécrire, enfin sans trop trahir, mais tu trahis aussi. Par exemple dans L’Homme qui tombe, on a recréé des personnages qui sont plusieurs personnages en fait, ça devient un peu des personnages globaux qui en recroisent plusieurs. Mais ça ce n’est pas le pire, c’est une trahison que finalement j’accepte. C’est horrible les premières fois que tu dois couper ou transformer un mot mais si c’est réussi sur scène ensuite, c’est bon.


Est-ce qu’il y a des passages que vous privilégiez dans l’adaptation, comme la description ou les dialogues par exemple ?


Je peux privilégier autant une description qu’un dialogue, je fais ma sauce.


C’est plus en fonction de ce qui se dit, des thèmes ?


Oui c’est ça. J’ai l’impression que pour que ça marche il faut très vite savoir combien de personnes il y a sur le plateau. Pour le premier, le trois s’est imposé parce que c’est une petite économie, et que je trouvais ça bien que ce soit un gars et deux filles. Et le deuxième on en a pris cinq parce qu’il y avait forcément un couple, l’amante brésilienne, et il fallait un autre couple, pour voir les différentes peurs qui animaient chacun, au sein du couple, entre les gens. Une fois que ce choix est fait ça va un peu plus vite. La je viens de retravailler sur Peste, il y a soixante dix personnages qui parlent, on essaye de voir comment une même parole peut en regrouper plusieurs, c’est intéressant à faire.


En plus d’enlever du texte, des mots de l’auteur, est ce qu’il n’y pas aussi le risque d’enlever certaines dimensions, du sens ?


Si. Mais ça aussi c’est un choix qu’on assume, le fait d’inventer totalement, et d’être libre, c’est aussi notre point de vue sur le texte et sur les thèmes. Par exemple, c’est la question du être ensemble qui m’a vraiment interrogé dans L’Homme qui tombe, mais qui est un peu amplifiée par rapport au livre, c’était notre point de vue sur qu’est ce que c’est théâtralement d’agir ensemble, et d’être ensemble dans la vie, comment on arrive maintenant à se positionner par rapport aux autres, à être dans un groupe. Mais le premier plaisir est de partager une langue, une histoire et un auteur, le point de vue pour moi est implicite dans la construction de l’ordre des séquences et toutes les influences de vidéo, d’images, de sons qui sont autour. Le public qui connaissait le roman, nous a dit que ça manquait d’un point de vue réel sur le roman, c’est une question que je n’ai pas résolue encore. Parce que pour nous, le point de vue est déjà induit dans la proposition de faire partager ce texte, les thèmes qui le parcourent. Pour Nos parents, tout le monde sait qu’Hervé Guibert  est mort du sida mais qui a lu ses livres ? Donc pour la plupart du public, rien qu’en partageant un auteur qu’ils ne connaissent pas et en avoir une nouvelle vision, ils sont plutôt contents. Et pour L’Homme qui tombe, il y avait beaucoup de gens qui ne connaissaient pas cet auteur. A propos des dimensions du texte, on sait en ayant choisi l’adaptation qu’on ne peut pas toutes les brasser.


Bien sûr. Et en fonction des sensibilités, on y voit tous des choses différentes.


C’est ça. L’idée dans l’adaptation c’est de traiter un roman mais ce qui nous passionne aussi c’est montrer comment on fait théâtre, avouer qu’il y ait de la vidéo en direct, avouer que les comédiens soient aussi techniciens. En fait le spectacle raconte autant l’histoire, enfin une partie de l’histoire du roman, que la façon dont on construit un spectacle. On privilégie aussi beaucoup cette dimension. Dans tous les cas, on adapte avec un tel amour du texte que je ne me sens pas très malhonnête. Tu ne peux pas traiter tout le texte, ou ça serait du théâtre de vingt quatre heures, il faudrait avoir de bons comédiens, mais ça risquerait d’être vraiment ennuyant, tout le monde n’est pas Olivier Py.


Heureusement. Vous travaillez principalement sur des écritures contemporaines, est ce que vous auriez la volonté un jour de monter quelque chose de plus classique, voire antique ?


Je pense que ce ne serait pas fédérateur pour tout le groupe. Il y a des choses intéressantes dans les textes classiques, mais il y a aussi un côté révélateur d’un texte ancien, en le mettant sous un jour nouveau, ce n’est pas forcément la démarche qui nous intéresse. L’important pour nous est vraiment de pouvoir se questionner ensemble sur des choses très actuelles, on ne peut pas faire de théâtre sans parler d’aujourd’hui, c’est un peu notre priorité. Donc on choisit plutôt des auteurs contemporains. Parce que parler d’aujourd’hui avec des textes classiques c’est possible mais je trouve ça un peu compliqué, et il y a un côté malin, en montrant comment on peut enlever la poussière d’un texte.


Pour finir, quels sont vos futurs projets ?


Il y a déjà Les livres vivants qui viennent de se faire de Frédéric Maragnani. En fait il voulait que  Alexandre, Miren et moi soient comédiens, je lui ai dit que si c’était pour adapter des livres je préférai travailler l’adaptation avec lui. J’ai donc fait ça sur cinq livres, et c’était absolument passionnant, et ça va se reprendre. Comme il est directeur de la Manufacture Atlantique maintenant, il veut avec le collectif créer un compagnonnage sur un ou trois ans, ce qui voudrait dire qu’on doit répondre à des commandes et en même temps pouvoir jouer nos spectacles là bas. Donc on essaye d’y reprendre Nos Parents, pour L’Homme qui tombe c’est compliqué, il nous faut un peu de sous. Et tous les trimestres il va y avoir un thème et il veut qu’on organise des banquets le dimanche, c'est-à-dire organiser un repas avec le public où on présente aussi un spectacle, enfin plutôt une adaptation littéraire qui se jouera qu’une fois. En mars il va y avoir le festival Cinémarges à Bordeaux, et il veut qu’on fasse un banquet, qui serait donc lié au thème de l’identité. En juin il y en aurait un autre sur le thème du soin, si on trouve un texte sur le pansement on fonce. Donc on a ces commandes là, mais comme on a créé deux spectacles très rapidement maintenant on prend le temps  de bosser à la diffusion parce qu’on se rend compte que vivre en région c’est quand même un peu compliqué. Donc on est très occupé par ça, on prend beaucoup de rendez vous, ce qu’on a jamais fait parce que pour l’instant on fonctionnait par dossiers, et la on se dit qu’on est assez murs, pour aller au devant des gens et leur expliquer notre démarche. On se rend compte qu’on grandit et c’est bien, parce qu’au départ ce n’était pas gagné. On grandit avec plein d’autres collectifs avec qui on est d’une même génération de compagnies, c’est bien on n’est pas tous seuls. On voit comment on fonctionne les uns les autres, on est plein à inventer notre propre matériau, on invente tous.

 

Entretien réalisé le 7 décembre 2012 par Flora Vernaton.

 

 

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15 février 2012 3 15 /02 /février /2012 15:06

 

Il est peu de gens dont le charisme et la prestance sont aussi remarquables que leur coiffure. Il existe aussi peu d’acteurs véhiculant par leur tignasse toute la tragédie théâtrale et notamment celle du roi Lear. Rien n'est plus électrisant que de sentir toute l'hystérie du comédien dans sa tenue, toute sa foi dans ses mouvements, tout son stresse dans... sa chevelure désordonnée. Nicolas Bouchaud n'est pas seulement un comédien exceptionnel, il est aussi un homme dont le style surpasse celui de Jack Nicholson dans Shining. Nous aurions pu penser que cette capilliculture était le signe de la folie grandissante de Roi Lear et pourtant ! Nous découvrons alors que Ponce Pilate (dans Noli me tangere mis en scène par Jean-François Sivadier) a la même ainsi que Serge Daney (La loi du marcheur mis en scène par Eric Didry), Serait-ce une marque de fabrique ? Bouchaud en scène serait donc affublé de cette toison ? Et pourtant, même hors scène, notre fétichiste garde cette étonnante coiffure ! Cet homme est un personnage théâtral à lui tout seul.
Notre cœur bat quand il monte sur scène, on rit puis on pleure, et même parfois les deux en même temps, chaque sentiment est décortiqué, tout est passé au peigne fin pour laisser transparaître un jeu sans faille, d’une incroyable justesse, d’une beauté à faire rougir les sociétaires de notre chère Comédie Française. On se délecte de ses répliques et on aspire à ses tirades. Et quand il nous offre la joie de s’unir à Jean-François Sivadier pour sublimer son art, l’extase est totale. Peu de comédiens ont le pouvoir de nous faire oublier que nous ne sommes qu’au théâtre et c’est donc lorsque l’on en rencontre un que l’on s’aperçoit à quel point le spectacle a le pouvoir de procurer un bonheur intense. Sa chevelure serait donc au service d’un jeu si époustouflant ! On s’interroge, certains pourront même critiquer, dire qu’il manque de prestance et après tout pourquoi pas ! A-t-il réellement besoin d’avoir les cheveux impeccablement lissés lorsqu’il monte sur scène en tant que Roi Lear et qu’il se dénude pour imager son hystérie, sa folie ? Est-ce dans son attitude qu’un acteur doit montrer son talent ?
De toute évidence, Nicolas Bouchaud ne fait pas que se vanter de son incroyable chevelure désordonnée, il nous offre aussi à voir un comédien, un vrai, tourmenté par différents flux. Si Freud était parmi nous, il nous dirait que cela cache quelque chose de sexuel, sans en douter.  Mais nous préférons laisser une part de mystère à cette pratique capillaire peu courante, elle est peut-être celle qui rappelle à Bouchaud qu’il est sur une scène de théâtre. C’est sûrement cet élément de sa physionomie présente sur scène et hors scène qui le ramène à une réalité, notre réalité. Car rien ne serait plus dangereux que de se perdre dans des sentiments qui ne nous appartiennent pas. Bouchaud le sait. Il n’est qu’un comédien. Un simple comédien. Mais sûrement un des plus exceptionnels du XXIe siècle.

 

 

Margot Reyraud

 

 

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